Mauritanie - Septembre 1996

 
 

Roissy, jeudi 12

Quelques gouttes de pluie sur le hublot me donnent un petit plaisir mesquin : je vais sous les tropiques et vous, vous restez là, nananère.

L’avion est presque plein, la plupart des passagers sont des Sénégalais. Des boubous colorés. Une ambiance nouvelle pour moi. De loin en loin, un Mauritanien – maure – à en juger par sa tenue vestimentaire. Devant moi, deux Français partent en Afrique pour une boîte quelconque. Pendant deux bonnes heures, ils vont parler boulot.

Vol non-fumeur. Dur, dur. Survol de la France au-dessus des nuages jusque vers Poitiers. Ensuite, le ciel se dégage progressivement. En dépit de la sécheresse, tout est plutôt vert. Une fois les Pyrénées franchies, c’est l’aridité qui prédomine. Je m’assoupis un moment, sonné par le manque de nicotine.

En me réveillant, je constate que nous survolons le sud de l’Espagne, quelque part du côté de Cadix avant d’atteindre la Méditerranée. À cette altitude, les bateaux ne se signalent que par leur sillage. Seul un pétrolier est facilement reconnaissable. Je m’assoupis une nouvelle fois.

Au réveil, le commandant annonce que nous venons de survoler Rabat. Nous nous dirigeons vers Marrakech puis nous allons pénétrer en Mauritanie par Agadir. Ensuite, nous survolerons Zouérate puis Atar avant d’atteindre le Sénégal.

Le Sénégal ? je tends l’oreille. Suit une annonce en anglais qui ne fait pas non plus mention de Nouakchott. Petite angoisse vite dissipée. Ça me revient : les Français devant moi n’ont pas non plus rempli de fiche de débarquement pour Dakar. Je n’ai sans doute pas tout entendu ou alors l’annonce en anglais était plus succincte qu’en français.

On est supposé arriver à Nouakchott vers 21 h, mais il est déjà 21 h 30 lorsque l’avion se pose à... Dakar. Je comprends maintenant que tout à l’heure nous avons survolé une zone verdoyante : c'était le fleuve Sénégal. Dakar me surprend d’ailleurs vue des airs. Elle me rappelle les « conjuntos » brésiliens, ces immenses lotissements de maisonnettes où vit une population marginalisée, pour employer un terme emprunté à la Bien-pensance. J’imaginais la ville bien plus grande. Végétation tropicale, beaucoup de flamboyants et quelques cocotiers de l’autre côté de la piste donnent le ton.

Trois quarts d’heure d’attente dans la salle de transit. J’en profite pour griller deux ou trois cigarettes. Redécollage vers 22 h, c’est-à-dire 20 heures locales. Arrivée à Nouakchott de nuit. Peu de lumières vu du ciel. Nouakchott vlllage étoilé !

25° au sol. La mer étant toute proche, il fait chaud et moite.

La douane est franchie rapidement. Un Maure me prend en charge. Seuls des sous-fifres portent l’uniforme. Impossible de dire qui sont les autres. Fonctionnaires ? Magouilleurs ayant des relations dans la place ? Le « mien » fait sans doute partie de la seconde catégorie. Il me tape un bakchich. Ça commence. Manque de bol pour moi, les 350 francs que j’ai en poche sont dans une même liasse. J’essaie de marchander. 100 balles, c’est déjà bien, non ? Palabres. La partie est perdue d’avance. Le corbeau jura, mais un peu tard…

Avantage, tout de même : j’évite la fouille et les tracasseries habituelles. Je suis à peine sorti de l’aéroport qu’une nuée de porteurs propose ses services. Un type porte une pancarte avec le nom de l’hôtel. Après avoir récupéré mon sac sur le tapis roulant, je dois patienter encore une bonne demi-heure au bar. Je discute avec Ahmed, un jeune Ivoirien qui vit ici depuis quelques mois. Apparemment, comme beaucoup de Noirs ici, il vit de petites combines.

On arrive enfin à l’hôtel. Agréable surprise. L’accueil est excellent et l’établissement très bien tenu. Passé le couloir à l’entrée avec le guichet de la réception sur la droite, on arrive dans un petit patio carrelé avec quelques tables et un bar. Sur la gauche, un escalier conduit aux chambres qui se trouvent à l’étage. Dans le patio, quelques petits palmiers et autres plantes tropicales en pots donnent la touche d’exotisme à laquelle on s’attend en arrivant ici.

 

Vendredi 13

Mal dormi. Entre le bruit de la clim’ et la chaleur, j’ai opté pour la seconde. Ce soir, je choisirai la chaleur. Pour tout arranger, j’ai l’impression que l’oreiller est rembourré avec du sable. Le charme de la rusticité, sans doute.

Nouvelle douche puis café dans le patio, et en route pour une balade de reconnaissance. Aujourd’hui, c’est calme puisque tout est fermé. Ne circulent que les bus jaunes et verts, dont certains ressemblent plutôt à des fourgons cellulaires avec leurs petites fenêtres à barreaux. La plupart sont bondés, le contrôleur se tenant accroché à la portière. Quelques 4x4 et des taxis : de vieilles R18 ou R12 brinquebalantes.

Il n’est que 10 heures, mais il doit bien faire 30 ou 35°. Dans une rue adjacente, un pâtre pousse tranquillement son petit troupeau de chèvres qui broutent principalement des morceaux de carton. De toute manière, il n’y a pas un brin d’herbe. Une voiture s’arrête pour en laisser traverser une. Le chauffeur peste. Ses passagers rigolent. La légère odeur de lait caillé et des chèvres qui flottait dans l’air est remplacée un instant par celle, âcre, des gaz d’échappement.

Pour l’instant, Nouakchott correspond bien à l’idée que je m’en faisais : une ville sans âme. Ici, dans le centre, seules les rues principales sont goudronnées. Ailleurs, il n’y a que du sable. Il est d’ailleurs omniprésent. J’ai de la chance, cependant : ce n’est pas l’époque des vents de sable. Pour prendre des photos, c’est mieux, même si c’est moins exotique.

Bref retour à l’hôtel pour envoyer un fax. Voilà une chose que je n’aurais pas pu faire il y a encore quelques années. Les communications modernes int du bon. Dans le quartier fleurissent d’ailleurs les officines de traduction, reprographie, traitement de texte, services d’envoi et réception de fax, etc.

Que faire un vendredi ? Je décide d’aller au port à pied. Ce n’est qu’à quatre kilomètres et je n’ai rien d’autre à faire.

Passé le croisement de l’avenue Nasser, où se trouve mon hôtel, avec l’avenue Abdel ould Mahmed, on quitte le centre-ville. Ensuite, une longue courbe conduit au littoral. Sur la gauche, des terrains vagues avec, à 300 mètres, les quartiers périphériques. Au loin un attroupement signale la partie de foot du vendredi matin.

À droite de la route, une vague lagune, en réalité un dépotoir d’où se dégage une odeur nauséabonde. Heureusement, le vent souffle dans la direction opposée. Des gamins des rues viennent me saluer. Ils veulent que je les photographie. Allez, séance photo. Sourires. Clic !

Un peu plus loin, un camion est arrêté sur le bord de la chaussée. Deux ou trois types ont démonté une crémaillère. En guise de triangle, ils ont posé une pierre sur la route et, un peu plus loin, un sac en plastique rouge maintenu au sol par une pelletée de sable.

Passé la « lagune » s’étend un immense terrain vague jonché de gravats, séparant la ville du cordon dunaire. De loin en loin, une villa, visiblement confortable au milieu d’un jardin luxuriant entouré de hauts murs ternes coiffés de tessons de bouteilles. Quelle idée de construire au milieu d’un tel dépotoir !

La chaleur écrasante est légèrement tempérée par la brise de mer, plus perceptible ici. En me rapprochant du cordon dunaire, j’aperçois le nouveau marché au poisson, récemment construit par la Chine. À gauche, se dressent les cahutes du village de pêcheurs.

À la bifurcation, un grand flic noir m’interpelle. Poignée de mains. Sourires. Ai-je une autorisation pour prendre des photos ? Palabres, tout en sourires. En fait, c’est heureux qu’il me pose la question : ici on semble assez pointilleux à ce sujet.

Pendant ce temps-là, son collègue a enfourché sa moto pour contrôler une bagnole qui a « omis » de s’arrêter. Ici comme ailleurs, on n’arrête pas les bourgeois en 4x4, mais les vieilles guimbardes…

Pas d’erreur possible, on est bien dans un village de pêcheurs. Sur la dune à gauche, du poisson salé sèche au soleil sur des clayettes. On accède à la plage où sont les bateaux par une allée passant au milieu de cabanes en bois. Çà et là, un conteneur « recyclé » tient lieu de logement. Sans doute un notable du quartier !

Entre la dernière rangée de cahutes parallèle à la plage et le bord de l’eau, des centaines de barques se pressent les unes contre les autres. J’imagine que chacun a sa place attitrée en dépit du désordre apparent. Un jeune juché sur une carriole dotée de roues à jantes larges tirée par un âne m’interpelle en rigolant. Montrant son âne, il me crie « Erdouz ». J’interroge du regard Abdoulaye, dit Doudou, qui m’accompagne depuis un petit moment. « R 12 » précise-t-il. Ah ! pardon, où avais-je la tête ?

Quelques photos en déambulant. La mer est bleu turquoise. Des jeunes s’y baignent.

Je remonte la plage jusqu’au « camping » de Tergit Voyages. On passe devant le marché chinois. Doudou m’explique que sa construction vient d’être achevée et que le marché va entrer en service à la saison de la pêche. Belle bâtisse de style arabisant, d’une sobriété en harmonie avec la Mauritanie.

La plage est ici encore assez déserte. À gauche, la mer. À droite, le sable. Même le ciel témoigne de cet affrontement entre les deux éléments : il est teinté d’ocre au-dessus des terres.

Courte visite du petit camping de Tergit Voyages implanté au sommet de la dune. Vue imprenable sur la mer d’un côté, sur Nouakchott de l’autre.

Allez, Doudou, à la prochaine. Je rentre à Nouakchott. Voilà justement un taxi qui dépose une famille venue passer la journée à la plage. Doudou m’aide à négocier le prix de la course. 300 ouguiyas. C’est le prix normal, mais ça va mieux en le disant.

Retour au travers du terrain vague. Slalom entre les gravats puis retour sur l’asphalte une fois le poste de police contourné. Le chauffeur, un Malien, n’est ici que depuis quelques mois et ses papiers ne sont peut-être pas parfaitement en règle.

Une heure et demie. Fait chaud. Je pousse la clim’ à fond et hop, à la douche. C’est la deuxième de la journée. Il va falloir que je me surveille ! J’ai mis le volume de la télé à fond pour couvrir le bruit de la clim’, histoire de faire comme tout le monde.

Vers 4 heures, je ressors faire un tour. Un black m’accoste. Il me fait un “cadeau”, un chapelet soi-disant en argent. Suit un bracelet « les jours de la semaine » comme ceux que les Trois Suisses donnent pour 100 balles d’achats. Pour ponctuer, deux prétendues pépites d’or. Évidemment, un cadeau, ça ne va pas sans échange. Nouvelles palabres. De toute manière, je n’ai que 600 ou 700 UM à lui filer – évidemment pas dans la poche où j’ai le plus gros de mes sous. J’ai été suffisamment échaudé à l’aéroport.

Cent mètres plus loin, un autre essaie encore de me fourguer un « cadeau ». Depuis hier, il y en a bien dix qui m’ont fait le coup. Le dernier s’est fait engueuler. Marre, à la fin.

Retour à l’hôtel. Au bar, je tombe sur un Français qui bosse à Dakar. Comme bien d’autres, semble-t-il, il a eu une vie en dents de scie. Longue discussion avec le réceptionniste. On parle de Français qui ont dirigé ou dirigent de grosses boîtes dans le coin. Un monde d’aventuriers bien éloignés des technocrates parisiens. Ça me rappelle le Brésil.

Il établit un parallèle entre la Mauritanie et la Corse. On parle immigration, intégration… C’’est aussi un passionné de numérologie et de tarots. Drôle de mec.

Le soir, rencontre avec Michel, dont j’avais reçu les coordonnées avant mon départ. Il passe à l’hôtel en s’excusant du retard, habitude locale, paraît-il. Le retard, s’entend. Bof, une demi-heure, pas de quoi fouetter un chat. Au Brésil, la moyenne était de deux heures et demie – quand les gens n’avaient pas oublié le rendez-vous.

Il est venu à l’aéroport la veille pour me chercher. Vraiment sympa. Je n’en demandais pas tant. Seulement, comme il ne savait pas quelle tête j’avais et vice-versa, on ne s’est pas rencontré.

Après avoir causé un bon moment à l’hôtel, on décide d’aller dîner. Il m’emmène au Racing Club, lieu privé fréquenté par des Français expatriés. Avantage : la bière y est tolérée.

Michel me parle longuement du pays et des gens. La Mauritanie, il la fréquente depuis une dizaine d’années. Il y a trois ans, il est venu s’y établir et a créé une agence de voyages. Ahmed, son associé, est issu d’une grande famille de guerriers originaire d’Atar.

Après les présentations, on est entré dans le vif du sujet. Comme beaucoup de gens, j’ai entendu parler des manuscrits datant de l’époque où Chinguetti était une des villes saintes de l’islam et un haut-lieu du trafic caravanier. Je suis curieux d’en savoir plus. De toute évidence, beaucoup se sont cassé le nez. Peu importe, j’aurai au moins le plaisir d’avoir un aperçu d’un pays et d’une culture qui me sont inconnus. La conversation prend un tour mauritanien. Chacun évite de trop en dire. L’essentiel est sous-entendu. À l’autre de comprendre à demi-mot. On se juge avant tout sur ce qu’on est, par sur ce qu’on dit. On fonctionne, explique Michel, selon une logique féminine. À l’inverse des Européens, qui ont un mode de vie masculin consistant avant tout à bâtir et à produire, qui veulent du concret en oubliant le reste.

Il n’a guère d’estime pour les grands organismes internationaux, qui font de toute évidence plus de mal que de bien. Récemment, les dirigeants de la Banque Mondiale auraient même envisagé de la saborder. Ils ne l’ont évidemment pas fait : il aurait fallu pour cela mettre des milliers de cadres au chômage.

Première journée un peu crevante. De retour à l’hôtel, je m’écroule devant la télé.

 

Samedi 14

Réveil un peu après neuf heures. Douche. Café dans le patio. Je passe à Tiris Voyages pour rencontrer Ahmed et Michel. Thé à la menthe. Réservation du billet d’avion pour Atar. Après avoir traîné un peu dans le quartier, je déjeune à l’hôtel et fais la sieste.

À quatre heures, la clim’ est parvenue à rafraîchir la chambre. Dehors, c’est encore la fournaise. Je fais un saut chez Tiris Voyages, mais Michel est parti quelques minutes avant. J’en profite pour jeter un coup d’œil au centre culturel français. Les livres en vente dans la vitrine ne peuvent pas être achetés : c’est le responsable qui a la clef, et il est absent.

De retour à l’hôtel, on m’apprend que Michel doit passer à 19 h. Il arrive accompagné de sa copine mauritanienne. Je comprends maintenant pourquoi son divorce ne l’a pas plus traumatisé que ça. Canon, la gazelle !

On discute de technologie. Informatique, vidéo, TIC, tout y passe. Michel va m’apporter de la doc sur le téléphone avec antenne satellite. Je lui fais part de mon rêve de pouvoir bientôt travailler n’importe où grâce à ça. Par exemple, passer une semaine ou deux dans le désert sous la khaïma tout en gardant le contact avec mes clients. Cette vision des choses l’enthousiasme. « Mais c’est ça que je me tue à expliquer à Mohammed depuis des lustres ! Bientôt il y aura des gens comme ça qui pourront louer une maison à Chinguetti tout en travaillant normalement. Cela incitera les familles qui possèdent des maisons en ruines là-bas à les retaper. Il faut que l’activité économique, le développement, passent par-là ! Ce doit être le fait des locaux ! » Son regard se perd dans le lointain…

Ce qui l’ennuie un peu, c’est qu’il ne connaît pas grand-chose à l’informatique. Plus grand-chose, du moins. Sa perle du désert, en revanche, semble beaucoup plus au courant. Il y a quelques années Michel avait repris une société en France et avait pourtant été un des premiers à s’informatiser. Un peu trop tôt, sans doute.

Après leur départ, je fonce à ma chambre pour préparer un fax. Tout ça est passionnant et j’ai la tête en ébullition.

Coup de fil de la réception. Ahmed veut me parler. Il appelle de l’aéroport et me propose qu’on aille boire un Coca vers 23 h. Ahmed est un Ivoirien qui vit de petits boulots. Il est arrivé à Nouakchott il y a un an et demi. En fait, à mon arrivée, il faisait partie de la petite bande qui m’a pris en charge. La « petite bande » en question rabat les voyageurs sur les taxis et les hôtels. La débrouille. J’ai tout de même apprécié une chose : ils n’ont à aucun moment tenté de m’arnaquer. Bref, avec Ahmed on a sympathisé. Il passe à l’heure dite et on va déambuler dans une rue parallèle à l’avenue Nasser. C’est là qu’est concentrée la vie nocturne de Nouakchott. Sur un ou deux pâtés de maisons, quelques épiceries encore ouvertes, un ou deux « restaurants », en fait des gargotes où on boit du Coca en mangeant un sandwich. On ne traîne guère. Je suis un peu crevé. Quant à lui, il se lève tous les matins à 5 h 30 pour préparer les sandwichs qu’il va vendre je ne sais où.

 

Dimanche 15 septembre

Réveil un peu après neuf heures. Après le café, je fais un saut chez Tiris Voyages pour prendre mon billet d’avion pour Atar. Michel me fait un mot de recommandation pour l’Auberge du Bien-Être à Chinguetti. Ensuite, je passe rapidement chez Air Afrique pour confirmer mon vol de retour.

Peu inspiré, je décide de rester à l’hôtel pour déjeune et écrire pendant les heures chaudes. Je regarde une nouvelle fois le film avec Al Pacino vu hier soir sur Canal Horizon.

En fin d’après-midi, je passe à la banque retirer de l’argent avec ma carte pour régler l’hôtel. La note est salée. Entre la chambre plus chère que prévu, les repas et la commission du bureau de change, il y en a pour 2500 balles. Heureusement qu’en contrepartie j’ai trouvé un changeur nettement plus avantageux. Ça compense un peu.

Le mec du bureau de change est très sympa et propose de passer une journée ou deux dans le désert, où il a sa « khaima secondaire ». Une autre fois, peut-être.

Je mange un shwarma vite fait chez le Libanais de la rue voisine. À l’hôtel, je tombe sur un électronicien hollandais venu réparer des éoliennes. On a échangé quelques mots ce matin. Le pauvre, il ne parle pas un mot de français, ce qui est particulièrement gênant ici, surtout que peu de gens parlent anglais. De mon côté, je suis bien content d’avoir l’occasion de parler néerlandais. Ce n’est pas la première chose à laquelle je m’attendais en venant ici. On discute de tout et de rien quand, tout à coup, le vent se lève. Hé hé, c’est le vent de sable ! Je ne pensais pas qu’il y en aurait à cette époque de l’année.

Ça souffle de plus en plus fort. En quelques minutes, tout est recouvert d’une fine pellicule de sable. On amorce un repli sur le bar. Juste à temps. Il se met à pleuvoir. Averse tropicale. Orage. Ça dure plusieurs heures.

 

Lundi 16 septembre

Mal dormi, le café d’hier soir devait être trop fort. J’ai aussi dû me relever plusieurs fois pour régler la clim’. Je dois me lever à 7 heures alors que je viens tout juste de sombrer dans le sommeil.

Le patio est une mare. Le personnel joue du balai et de la serpillière.

Dans les rues, seuls les 4x4 se hasardent à traverser la piscine qui s’est formée au carrefour. J’arrive à l’aéroport un peu avant neuf heures. Deux ou trois jeunes s’offrent avec empressement pour porter mon sac. Je les envoie promener gentiment. Café au bar. Enregistrement, et me voilà dans la salle d’attente.

L’avion décolle à peu près à l’heure dite. Un ATR 42. Pas très bruyant bien que je sois assis au niveau des moteurs. Le vent de sable souffle encore. Une fois que nous avons passé les 3-4000 pieds, on ne voit plus grand-chose du sol. Tout se mêle dans un brouillard ocre. L’altitude de croisière doit être de 10 ou 15 000 pieds soit juste au-dessus de la couche de poussière qui masque un peu le paysage.

À Atar, la descente est un peu rude. Bref survol des montagnes voisines. De la végétation dans les oueds. Reliefs tabulaires. Dommage qu’il y ait encore ce vent de sable.

À l’atterrissage, on nous annonce une température extérieure de 35°. J’ai dû mal comprendre : dès que la porte de l’avion s’ouvre, on se rend compte qu’il fait très largement 45° (ou plutôt 55° ?). Je poireaute un moment en plein soleil. L’air est extrêmement sec et ça picote les muqueuses. Ça rappelle le sauna quand il est temps de jeter de l’eau sur les pierres.

De l’avion à la cahute qui tient lieu d’aérogare, il n’y a guère que deux cents mètres, mais il faut faire attention où on pose les pieds pour ne pas se tordre la cheville sur les cailloux.

Pour aller en ville, il faut compter encore deux kilomètres. Avec un type de Chinguetti, on se propose de partager le taxi, mais on nous demande un prix trop élevé. On y va à pied ? OK. Le taxi nous rappelle. Allez, 500 ouguiyas pour deux, bagages compris. C’est parti.

Je me fais déposer à l’hôtel El Mohabitine. En tous points conforme à ce que dit le Guide du Routard. Propre, spacieux, sobre. Clim’ plus ventilateur. Le top. Dieu qu’il fait chaud !

Je reste planté un moment sous le ventilateur réglé à fond. Un brin de toilette. L’eau froide est à au moins 30°.

En sortant de l’hôtel, je passe devant la caserne Sidi Ahmed. Très jolis bâtiments carrés surmontés de coupoles. Exotique, ma foi. Un peu plus loin, je demande mon chemin à deux militaires français. Sympas, ils me déposent directement au rond-point qui tient lieu de centre-ville. À cette heure, tout le monde fuit la chaleur. Le petit marché ne manque pas de charme, mais il n’y a pas âme qui vive. Du moins en apparence. En fait, tous les étals sont bâchés et les marchands sont réfugiés en dessous et font la sieste. Il fait plus de 45° à l’ombre et il ne viendrait à l’idée de personne de sortir faire ses courses à cette heure.

Je suis déjà déshydraté quand je rentre à l’hôtel. Une fois requinqué, je refais une brève incursion dans la fournaise. Petit tour sur la digue longeant un oued à sec. Pas grand-chose à voir, d’autant moins que l’air est saturé de poussière de sable jaune. Nouveau repli sur l’hôtel et sieste sous le ventilo. Réveil vers cinq heures et demie. Le soleil à présent plus bas au-dessus de l’horizon commence à se noyer dans la brume ocre. Il a de faux airs de soleil d’hiver, sauf que le thermomètre dépasse encore allègrement les quarante degrés.

Le patron de l’hôtel m’invite à prendre le thé dehors. Il a un peu la même tête que mon propriétaire, à l’époque où j’habitais à Londres. Je me mords la lèvre en l’imaginant ici. On s’assied en tailleur sur un tapis posé au milieu de la cour. Un autre homme vient se joindre à nous. J’apprends que c’est le député sortant et qu’il se représente aux prochaines élections. Ça cause politique.

Un homme plus âgé apporte un plateau avec des verres et une théière, qu’il dépose sur le sable à côté du tapis. Il échange quelques mots avec les autres, me salue puis va se poster à quelques mètres, tourné vers La Mecque.

« Allah ou akbar ! » s’écrie-t-il d’une voix vibrante. Les deux autres s’excusent pour aller prier aussi. Je regarde ailleurs. Assis sur le tapis, je sens la chaleur du sol m’irradier le dos. L’air très sec a un effet tonique malgré la chaleur. Silence et vent de sable.

Mes hôtes murmurent les prières. Un merle vient troubler un instant cette ambiance de recueillement.

Tout le monde revient. Le boy haratine apporte le brasero. Le vieux se débarrasse de son haouli et entreprend la préparation du thé. Il commence par ajouter le sucre puisé dans son sac de toile noire puis les feuilles de menthe, enfin l’eau. Le vent attise les flammes et en quelques minutes le thé est prêt. Le vieux en verse un petit verre, goûte. À point. Il nous verse un petit verre à chacun, que nous avalons en deux gorgées. Divin !

Ensuite, il reprend nos verres, s’en verse un pour lui-même et en tend un au boy.

Le député se tourne vers moi. « Ici, chez les Maures, boire le thé préparé par un vieux, assis dehors, c’est vraiment le luxe. »

Je leur tiens compagnie encore un moment avant de m’éclipser pour prendre une – nouvelle – douche.

Poulet-frites au dîner. Bizarrement, je mange d’un bel appétit malgré la chaleur. J’étais plus affamé que je ne l’aurais pensé. Ensuite, je bois un café en compagnie de trois Algériens. L’un est un médecin établi à Atar. Quant au jeune couple, le patron m’apprend qu’ils travaillent aussi à Atar, pour le GRET.

 

Mardi 17

Réveil à huit heures. Je poireaute dans la salle à manger un moment. Arrive Mohammed, le patron. « Sidibou n’est pas là ? » Sidibou, c’est le vieux cuisinier. Mohammed n’a rien à lui reprocher : c’est moi qui suis descendu en avance.

Après le café et la douche, je pars en ville avec Mohammed. Il me montre les travaux d’irrigation dans la palmeraie. Nous faisons ensuite le tour du vieux marché. Beaucoup de bonjours ici et là. Le député d’hier soir est son grand frère. Mohammed fait donc partie d’une des grandes familles d’Atar.

Nous faisons halte dans un magasin de vêtements féminins pour trouver… un taxi pour Chinguetti. Suffisait d’y penser. Nous nous asseyons par terre et passons là une bonne heure à causer avec les femmes. L’ambiance est très décontractée et elles rient beaucoup en écoutant Mohammad raconter des histoires. Les tasses de thé se succèdent. J’ai discrètement posé le caméscope de manière à filmer. Manque de chance, la batterie tombe en rade presque aussitôt.

En attendant, les coups d’œil furtifs et le ton enjoué de la conversation ne trompent pas : c’est de moi qu’on cause. La plus jeune des femmes me fait un gros clin d’œil bien appuyé. Mohammad, à qui ça n’a évidemment pas échappé, me taquine : « c’est une belle fille, hein ? ». S’il le dit… Pour ma part, j’ai surtout l’impression qu’elle a été gavée comme une oie. En même temps, le voyage, c’est aussi découvrir des cultures différentes, hein.

Le vent s’est levé. Nous retournons à l’hôtel. Il est onze heures et demie. Le litre d’eau et le thé avalés depuis ce matin me semblent déjà bien loin. Je tire la même langue que le loup de Tex Avery, mais pas à cause de la fille de ce matin. Le vent de sable et les quarante-cinq degrés affichés par le thermomètre y sont pour beaucoup.

Je prends une douche et reste à poil sous le ventilateur. Divin, sauf que je suis sec en moins d’une minute. Une de plus et je recommence à avoir chaud. Vers une heure, Mohammed frappe à la porte. Le déjeuner est prêt.

Poulet-nouilles, aujourd’hui. Les fenêtres de la salle à manger ont été ouvertes en grand. Pas sûr que ce soit une si bonne idée. Un vent puissant la traverse, mais il est toujours aussi brûlant. Sans parler de la poussière.

Avant de faire la sieste, je fais un saut à la digue pour une petite prise de vue. Perte de temps, la cassette est abîmée. Quelle chaleur ! Mohammed confirme : entre 50 et 55°. J’étais loin du compte avec mon estimation de 45°. En même temps, je ne suis pas surpris. Allez, sieste jusqu’à quatre heures.

Le ciel s’est encore assombri. La visibilité est tombée à 300 mètres si on a de bons yeux et en trichant un peu. Tout baigne dans une lumière irréelle. Tout à coup, surprise : la pluie ! L’averse ne dure guère plus de dix minutes, heureusement, mais je commence à me faire du souci : pourvu que le taxi me conduise enfin à Chinguetti aujourd’hui. Mes craintes sont finalement sans fondement, puisque le voilà justement. Bien chargée, la Land Rover. Et pas de première jeunesse.

On commence par faire le tour d’Atar pour prendre les autres passagers. Deux vont s’asseoir devant avec le chauffeur. À l’arrière, nous nous calons comme nous pouvons au sommet d’un énorme tas de sacs de riz qui monte jusqu’au toit de la cabine. À côté de moi est assis un vieux bonhomme qui ne parle que le hassanya. Les deux autres passagers sont un jeune qui parle un peu français et le boy du chauffeur. Avantage : à cette altitude, on a moins chaud.

Une bonne demi-heure plus tard, nous sortons d’Atar. Nous traversons une plaine parsemée d’arbustes poussiéreux sur une vingtaine de kilomètres. Juché sur les sacs, je jouis d’une vue magnifique. Le vent est cependant toujours aussi brûlant. Je me retourne vers l’avant pour constater que nous risquons fort d’essuyer une nouvelle tempête de sable. Le soleil ne va plus tarder à se coucher. À cet endroit, nous roulons sur de la tôle ondulée et il faut bien se tenir à la galerie qui surmonte la cabine.

Les arbustes alentour ploient sous les assauts du vent, devenu assez violent. De grosses volutes de sable nous assaillent. L’ambiance devient apocalyptique. J’adore. Je caresse un instant l’idée de filmer ça, mais c’est trop risqué. Un chaos plus fort que les autres, et c’est la chute assurée. Allons bon ! Il recommence à pleuvoir. Tout en continuant à rouler, le chauffeur nous passe une couverture par sa vitre. Par miracle, nous arrivons à l’attraper. Tout le monde se protège tant bien que mal. Nous devons ressembler à quatre gamins en train de se livrer à des espiègleries.

L’averse est de courte durée et, peu après, le vent tombe. Encore quelques kilomètres et c’est l’arrêt prière. On se passe le jerrican pour les ablutions. Allah ou akbar. Prières murmurées. Prosternations.

Un pâtre traverse la route, précédé d’une douzaine de dromadaires. L’instant est magique.

Nous repartons. Quelques kilomètres plus loin se dessinent les premiers reliefs. La nuit est tombée. La Land Rover entame la longue ascension vers la passe d’Amogjar, une douzaine de kilomètres plus loin. Deuxième, rétrogradation en première, deuxième, nouvelle rétrogradation… On irait presque aussi vite à pied.

Mes compagnons de voyage m’apprennent que nous traversons les Sept Gorges. Ahmed, le lycéen, offre une tournée… de dattes. Le vieux allume une pipe.

Sur la piste, on n’y voit à guère plus de vingt mètres. Pourtant la nuit est claire. À droite, une paroi verticale de deux ou trois-cents mètres nous domine. À gauche, le précipice.

Qu’est-ce qui se passe ? On s’arrête ? Ici, en pleine montée ? Je me rends compte que le chauffeur a raté le changement de vitesse et n’arrive pas à réenclencher la première. La voiture commence à reculer. Pas de frein… ou si peu. La Land Rover trop lourdement chargée prend de la vitesse. Le chauffeur a le bon réflexe de braquer en direction de la paroi rocheuse. Boum ! La voiture bascule !

Pic d’adrénaline. Je saute en priant pour ne pas être écrasé par la voiture. Coup de chance, il n’y a pas de gros rocher à cet endroit précis. Vite, vite, à quatre pattes, je grimpe un mètre plus haut. Des cris. Crissement de tôles sur la roche. Hormis le faisceau des phares, à l’arrière c’est le noir absolu.

Derrière moi, des voix s’élèvent. Les jeunes se consultent du regard. Rien de cassé. Moi non plus. Et le vieux ? Il est où ? Sous les sacs, sans doute ? Il était assis du côté de la paroi. Sombre pressentiment. Je viens de retrouver ma torche. Vite, vite, nous dégageons les sacs.

La tête du vieux dépasse de sous la cabine. En voulant sauter, il a dû se prendre les pieds dans quelque chose et a été écrasé par la cabine. Au moins, il n’a pas eu le temps de souffrir. Tout le monde est secoué.

Les deux passagers et le chauffeur s’extraient de la cabine. Ils n’ont rien. Pendant ce temps, avec Ahmed et le boy, nous avons commencé à déblayer les abords de la voiture. Tout le monde s’y met. Égoïstement, j’espère que le sac contenant mon appareil photo et le caméscope n’a rien. En deux ou trois minutes, tout est déchargé sur le talus.

Le vieux, une fois dégagé, est porté un peu plus haut. Il s’agit maintenant de remettre la voiture sur les roues. Au bout d’une demi-heure d’efforts conjugués, il faut se rendre à l’évidence : il est urgent d’attendre le passage de la prochaine voiture. Nous transbordons le chargement de l’autre côté de la piste, au pied de la falaise.

Un faisceau de lumière éclaire le versant opposé. C’est la Toyota du maire de Chinguetti. Aussitôt après arrive aussi une Land Rover. Maintenant, la main d’œuvre ne manque pas. La Land est promptement remise sur ses roues. La dépouille du vieux est transportée jusqu’à la Toyota puis remmenée à Atar.

Ahmed, un des passagers, et moi marchons jusqu’à un chantier trois-cents mètres plus haut. La deuxième Land Rover doit nous conduire à Chinguetti. Nous attendons une bonne heure. Petit à petit, la pression retombe et nous commençons à nous rendre compte que nous revenons de loin. Pendant ce temps, la deuxième Land Rover a fait un aller et retour jusqu’en haut de la passe pour déposer le chargement. La Toyota revient peu après, mais ne peut emmener qu’une personne. Ahmed et moi restons en rade. On nous dit de commencer à marcher vers la passe. « Peut-être » qu’ensuite une voiture nous conduira à Chinguetti. Mouais.

Au bout d’un kilomètre, petite pause pour reprendre notre souffle. Ah ! des phares ! Enfin, un phare. C’est une Land Rover borgne, qui nous conduit jusqu’à la passe.

C’est la pleine lune, et on distingue à présent quelques maisons basses en banco sur la droite. Des chèvres. Un brasero dans une cour. Sur le bord de la piste, un tapis où plusieurs personnes se reposent.

Arrêt. Déchargement du 4x4. Il ne va pas plus loin. Ahmed me dit qu’on va attendre là. « Peut-être » qu’une voiture va passer…

Nous sommes sur le plateau. Le vent est presque tiède. Dieu que j’ai soif ! il ne me reste qu’un demi-litre d’eau et je n’ose pas y toucher pour le moment.

Finalement, après avoir fait les cent pas en grillant une ou deux cigarettes, j’imite les autres. Allongé sur le tapis, je contemple le ciel étoilé un moment avant de sombrer.

Deux heures du matin. Des moteurs. La Toyota du maire est revenue. Nous montons à bord. La piste est mauvaise, mais la Toyota assure. Des gerboises traversent la piste de temps à autre. Je compte aussi quatre lièvres. Quelques petits oiseaux qui se déplacent par bonds. Curieux. Un troupeau de dromadaires surgi de nulle part nous arrête un instant.

Trois heures. Arrivée à Chinguetti. Chaleur entre les dunes qui ont envahi les rues de la ville nouvelle. Impressionnant et irréel.

Traversée de l’oued, deux-cents mètres de sable mou. On me dépose au coin d’une construction basse. L’Auberge du Bien-être. « Frappez à la deuxième porte, on va vous ouvrir. » La Toyota repart. Me voilà seul dans le noir. Il souffle une légère brise. La température, maintenant acceptable, doit avoisiner les trente degrés. Le silence est absolu.

Je frappe timidement un coup ou deux sur la « porte » en tôle ondulée. Rien. Allez, j’essaie encore une fois et si personne ne vient, eh bien tant pis. Je n’aurai plus qu’à m’asseoir et attendre. Je commence à avoir l’habitude en cette nuit pas comme les autres.

« Faites le tour, je vous ouvre » me lance une voix par-dessus le mur. On ouvre. Poignée de mains

" bonjour, vous allez bien ?

- Maintenant, oui, merci.

- Je suis Mahmoud ould quelque chose..."

Ah, c’est donc lui, Mahmoud. Je luis transmets les amitiés de Michel et de Mohammed. J’apprends du même coup que Ma el Aïnine, dont on m’a beaucoup parlé, est son oncle.

Comme il s’étonne de mon arrivée aussi tardive, je luis raconte l’accident. Il me confirme ce qu’on m’a dit plus tôt dans la soirée, que c’est le premier qui se produit depuis l’ouverture de la nouvelle piste.

Nous fumons une cigarette dehors en profitant de la fraîcheur relative, avant qu’il m’indique ma chambre.

J’aurais mieux fait de dormir dehors. il fait très chaud dans cette petite pièce, et les égratignures que je me suis faites en sautant de la Land Rover me brûlent.

 

Mercredi 18 septembre

Réveil à huit heures. Il fait presque frais. C’est bien agréable. Assis sur une marche, je regarde un troupeau de dromadaires s’abreuver au puits. Quelques pas à l’extérieur me font découvrir un panorama de carte postale. Dunes rose à souhait, palmiers et acacias rabougris. Ciel d’un bleu profond.

Après la douche, je fais un saut de l’autre côté de l’oued pour acheter du café, de l’eau (!!) et des cigarettes. Bonne surprise : les Marlboro sont ici à un prix dérisoire.

Ensuite, je me rends à l’Auberge des Campeurs. Michel m’a fait un mot de recommandation. J’y rencontre le patron et fais le tour des lieux. De là, je me dirige à la gendarmerie pour signaler que je séjourne quelques jours ici. J’y apprends qu’il faut une autorisation du ministère pour filmer. Pour faire des photos, par contre, aucune autorisation n’est exigée. « Vous avez compris ? » me dit le gendarme d’un air malicieux.
Tu parles, Charles. Une autorisation…

Je passe le reste de la matinée à rédiger mon journal à l’ombre d’un citronnier. Vers onze heures, Ma el Aïnine vient me trouver et m’invite à prendre le thé.

Est-ce que je suis marié ? Des enfants ? etc. Le rituel. Ensuite, on parle voyages. C’est un homme cultivé qui, sans avoir jamais quitté la Mauritanie, semble en connaître un rayon sur le monde. Il connaît également Théodore Monot, qui a séjourné ici à plusieurs reprises. La dernière fois, c’était il y a deux ans.

Je l’interroge sur les fameux manuscrits de Chinguetti, sans grand succès. Il me fait comprendre que tout le monde s’en fout. Je n’insiste pas.
Je retourne à l’ombre sous la khaïma pour lire un fascicule sur l’Adrar. Treize heures. Une assiette de riz avec de la viande de dromadaire puis une grosse poignée de dattes. Mahmoud me tient compagnie un moment. Je vais lui apprendre les rudiments de la photo. Il récupéré un 24x36 mais ne sait pas s’en servir.

Vers trois heures, j’entreprends une exploration des environs. Je me retrouve à faire un grand tour de la ville, jusqu’aux dunes situées à l’est. Ensuite, retour par le fort.

En repassant devant l’Auberge des Campeurs, je m’arrête boire un Coca. Nouvelle discussion avec Mohammed (encore un !), le patron. On discute tourisme, voyages. Ce qui l’amène à me parler de l’association qu’il a créée pour redynamiser le tissu socio-économique de Chinguetti. Il mise sur le tourisme pour inciter les habitants à vivre autrement que de l’assistanat des ONG. Ils ont déjà retapé quelques maisons. Des scouts sont venus aider à désensabler.

J’amène insensiblement la conversation sur les manuscrits. Il peut aider à les répertorier et à accéder aux différentes bibliothèques de Chinguetti grâce à son association. Nous ne sommes effectivement pas les premiers à tenter le coup. Je lui explique comment j’en suis arrivé à cette idée et les buts de notre association dans ce cas précis. Il semble comprendre assez bien l’aspect technologique. Comme la plupart des branchés d’ici, il s’intéresse de près aux technologies de communication. On parle beaucoup des satellites. Finalement, nous nous mettons d’accord sur le principe d’une collaboration entre nos associations respectives. La sienne ouvre les portes, nous nous chargeons de l’aspect technique. Il me fait comprendre qu’il est un peu désabusé sur la question. D’autres associations se sont déjà manifestées pour ce genre de projet, mais les financements faisaient évidemment défaut. Conclusion : on monte un projet avec un calendrier et on se recontacte.

De retour à l’auberge, Ma el Aïnine m’invite à passer chez lui pour prendre le thé vers dix-huit heures. Au bord de l’oued, il a une petite palmeraie et quelques citronniers.

Quand j’arrive, il est assis en tailleur. Une jeune femme est allongée la tête posée sur sa jambe, et il lui caresse les cheveux tout en égrenant son chapelet. Le boy est en train de préparer la braise pour le thé. Arrive la servante avec le plateau, les verres et la théière. Le sucre, lui, est dans une boîte en fer blanc comme celles où on rangeait autrefois l’argent et les papiers. La menthe, quant à elle, est dans une bouteille d’eau en plastique enveloppée de toile de jute pour préserver sa fraîcheur.

Quelques notables nous rejoignent. Ils ne se soucient guère de ma présence. Apparemment, la conversation roule sur la politique, période électorale oblige.

C’est assez amusant de voir que pour ces notables aisés, voire très aisés, le summum du luxe est d’être assis en plein air simplement pour boire du thé.

Tout le monde prend congé. J’arrive à l’auberge juste trop tard pour photographier le coucher de soleil sur les dunes. Quatre ou cinq gamines m’interpellent pour que je les photographie. La lumière est un peu juste, mais je fais semblant. Évidemment, elles réclament un cadeau. Dites donc, les filles, vous n’êtes pas un peu jeunes ? Je m’en débarrasse en me délestant des quelques ouguiyas qui traînent au fond de ma poche.

Je passe la soirée sous la khaïma. Le vent est tombé, mais il fait bon. Mahmoud est venu me tenir compagnie un moment. Il m’explique qu’il a appris le français avec les touristes. Il parle aussi un peu l’anglais, mais déplore le manque d’occasions de pratiquer. C’est vrai qu’ici, la langue internationale, c’est plutôt le français.

Je tâte le terrain au sujet des manuscrits, mais sans succès. De toute évidence, ça ne le passionne guère, comme tout le monde ici. Tout ce qui l’intéresse, c’est que l’auberge soit bien remplie. Il me demande également si je peux lui avoir des posters de France. Ça doit pouvoir s’arranger. J’imagine déjà des affiches des châteaux de la Loire placardés dans les chambres !

S’il ne semble guère porter d’intérêt aux manuscrits, il s’intéresse en revanche à la publication et à la commercialisation de fascicules sur l’Adrar. Il vend d’ailleurs un petit fascicule très bien fait sur la préhistoire et l’histoire de la Mauritanie, l’islam et les principales coutumes. On en apprend beaucoup en peu de pages.

Une fois Mahmoud parti, je lis encore un peu jusqu’à l’extinction de la lumière. J’ai décidé de dormir à la belle étoile. Cette expression est particulièrement appropriée : je m’endors en contemplant la Voie Lactée.

 

Jeudi 19 septembre

Réveil en sursaut : le jour va se lever. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard. Café vite avalé. Les pellicules, les objectifs, le caméscope, l’appareil photo vite, vite dans le sac à dos. Ah ! l’eau ! il fait assez frais et je n’aurai pas besoin de boire tout de suite.

Mahmoud arrive en s’excusant de ne pas m’avoir réveillé. Il s’est couché à trois heures et demie. C’est un peu ma faute, j’avais oublié que la nuit, il est au four pour cuire le pain.

La marche est un peu pénible. Je dois faire un bon kilomètre dans le lit de l’oued avant d’arriver aux grandes dunes situées à l’est de la ville. Mes pieds s’enfoncent dans le sable, ce qui ralentit ma progression. Dans cet univers, il n’est pas toujours facile d’évaluer les distances. En fin de compte, j’atteins le sommet de la grande dune en une demi-heure. Le soleil pointe tout juste le bout de son nez dans la brume. Brume ? Poussière ? Difficile à dire.

Il fait très bon ce matin. La nuit a été plus fraîche que les précédentes. Peut-être l’absence de vent ? Quelques essais de mesure de la lumière m’apprennent qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. D’ici, la vue est grandiose. Pourtant, la dune ne doit pas dépasser les vingt ou trente mètres de hauteur. Tout le côté sud de l’oued est envahi par la mer de sable. La vieille ville, située de ce côté, résiste pied à pied. Une immensité de sable s’étend jusqu’à l’horizon.

Une mouche me harcèle quelques instants, me faisant rater une photo. Au sol, je repère partout des traces en forme de chevrons. Je découvre peu après qu’elles sont le fait de cafards. D’autres traces, rondes, d’environ deux centimètres de diamètre m’intriguent. Je trouve l’explication un peu plus loin : des criquets. On en voit pas mal dans l’Adrar. Ils sont couleur sable et mesurent entre cinq et sept centimètres.

L’éclairage me donne des soucis. La lumière est moins belle que je pensais. Après quelques clichés en haut de la grande dune, je traverse l’oued pour photographier la végétation et le paysage. Le soleil est à présent bien au-dessus de l’horizon et la lumière plus belle. Nouvelle traversée de l’oued en direction du rideau d’acacias au pied des dunes. Ont-ils été plantés ou bien poussent-ils naturellement ? Plus tard, j’apprendrai que l’eau ne manque pas, la nappe phréatique étant à faible profondeur. Est-ce que ces arbres suffisent pour empêcher les dunes de traverser l’oued ?

J’explore quelques ruines. Un toit est à moitié effondré sous l’effet d’une pluie qui a dû être diluvienne. Il y a combien de temps ? Dix ans, cent ans ? La cour dans laquelle je pénètre par un pan de mur écroulé est, elle aussi, ensablée. Le sable entassé dans un coin semble pousser les murs de pierres plates. Il les ensevelira tôt ou tard.

Du haut de l’escalier, je découvre le panorama. Toujours le même : les dunes gagnent du terrain sur le reg. L’avant-garde est aux portes de la vieille ville.

Le soleil n’est pas encore très haut et il fait presque frais. J’ai à peine touché à ma réserve d’eau.

Je pique droit vers le sud, tournant le dos à l’oued. J’ai repéré un pied de ce qu’on appelle des euphorbes – j’ai oublié le vrai nom de cette plante – à deux ou trois cents mètres. Je me demande comment elles font pour pousser dans les dunes.

Tout d’abord, je chemine sur la crête d’un cordon dunaire. À cet endroit, le sable est relativement ferme et la progression aisée. Les dunes sont orientées grosso modo nord-sud, progressant d’est en ouest. Ici, aux avant-postes, leur hauteur ne dépasse guère sept ou huit mètres. Entre chaque cordon, une surface plane et dure parsemée de cailloux : le reg. On y relève les traces d’un peuplement plus ou moins récent. Un siècle ? Plus ? Moins ?

Un peu plus loin, dissimulé derrière deux cordons dunaires, je découvre deux puits asséchés. Je suis à cinq-cents mètres de la vieille ville. J’ai l’impression que ce puits a été submergé par une dune avant d’être redécouvert. Bizarre.  L’un d’eux est en état de fonctionner. Un rapide coup d’œil m’indique qu’il a une profondeur d’une dizaine de mètres. Il n’est pas ensablé du tout, mais apparemment à sec et la corde accrochée à ce qui tient lieu de margelle est intacte. Aurait-il été creusé récemment ? ou simplement désensablé et remis en service temporairement avant d’être de nouveau submergé par la dune suivante ? Mystère. En réalité, j’aurai la réponse sept ans plus tard, lors de mon deuxième séjour à Chinguetti : c’est un puits de mine ! J’aurai d’ailleurs l’occasion d’y descendre. C’est dans cette « mine » que les habitants viennent extraire la terre qui sert à fabriquer des briques et du mortier. On m’a dit qu’il y avait plusieurs kilomètres de galeries. Stupéfiant !

Je poursuis mon exploration sur le reg, du moins ce qui est à nu, en zigzaguant entre les dunes. Dans le creux des barkhanes les plus hautes pousse un semblant de végétation. Des graminées. Seules quelques pieds d’euphorbe se portent à merveille.

Maintenant à un kilomètre de la vieille ville, entouré de dunes, plus rien n’évoque une quelconque présence humaine. Du sable à l’infini et le ciel. Assis quelques instants sur une crête, je contemple le paysage alentour. Le silence est quasiment parfait. Seule une rafale de vent m’apprend qu’un enfant vient de naître à Chinguetti : les youyous des femmes se dispersent aussitôt dans le vent.

D’ici, j’aperçois au loin le sommet du château d’eau. S’il défigure la vieille ville, il présente au moins l’avantage de constituer un excellent point de repère.

Je rentre à l’auberge en traversant la vieille ville. À certains endroits, l’ensablement est impressionnant. Il faudra que je revienne voir ça de plus près demain. Après une douche, je savoure un grand café avec du lait. En brique, importé d’Allemagne. Je reste une heure ou deux sous la khaïma à écrire et à lire. Ma el Aïnine me fait porter le pain et le thé. Trois verres, comme il se doit. Dès que l’un est vide, un autre se matérialise sur la table. Un djinn sympa, sans doute.

Ma lecture m’apprend qu’il y a une belle oasis pas très loin. Entre-temps, il doit être deux heures de l’après-midi et je décide d’y aller. Une dizaine de kilomètres aller et retour. Je devrais être de retour pour le coucher du soleil dans les dunes. J’embarque le caméscope, l’appareil photo et les objectifs, les batteries et des pellicules. Et bien entendu, une bouteille d’eau fraîche dans une serviette mouillée et la gourde.

Au bout d’un ou deux kilomètres, je me rends compte que j’ai dû en faire trop. Le sac est lourd et encombrant. Il fait une chaleur d’enfer. Je fais une ou deux pauses sous des palmiers ou des acacias, mais ils ne dispensent qu’une ombre des plus parcimonieuses. Je suis en nage, mais la brise apporte de temps à autre un semblant de fraîcheur.

L’oued forme une courbe, alors je prends « à la corde ». Jusqu’ici, j’ai pu faire une halte sous les arbres, mais les prochains me semblent bien loin. En plus, il y a très peu d’endroits où le sol est ferme. À cette heure, pas âme qui vive. Et à ce régime, je commence à me demander si mon âme à moi ne va pas se délester de son enveloppe charnelle.

Au pied d’une dune, j’ai le bonheur de marcher une centaine de mètres sur du « millefeuille », du sable durci la dernière fois que de l’eau a coulé ici. Seulement, la petite maison à côté de la palmeraie devant à droite me semble encore bien loin. Cinq-cents mètres m’en séparent encore, mais j’ai l’impression de devoir marcher encore cinq kilomètres. Une éternité… mon âme me donne des coups de coude…

Quelle idée d’avoir pris ce sac ! Et aussi peu d’eau !

Un jeune type dans les vingt-cinq ans se tient près de la barrière d’entrée de la palmeraie. Il guette mon arrivée depuis un moment. C’est avec des jambes pesant plusieurs centaines de kilos que je parcours les derniers mètres.

"Salaam aleikum.

- Aleikum Salaam.

- Boutique ? je lui demande en désignant la maison du doigt.

- Non, ici pas boutique."

Et meeeerde !

Il me fait signe de le suivre dans la palmeraie. Il était en train d’arroser les palmiers. Il me fait asseoir contre la margelle du puits. Il a mis en route la motopompe et l’eau se déverse maintenant à flots d’un tuyau dans de petits canaux d’irrigation. Il en profite pour s’asseoir aussi un instant sous le jet. Maintenant, à mon tour. Je plonge la tête sous le jet d’eau. Enfin, quand je dis « jet », je ne parle pas d’un jet d’eau de jardin. Non, là, c’est d’un tuyau comme ceux qu’utilisent les pompiers qu’il s’agit. Du haut débit, quoi ! Là-dessus, je bois près d’un litre d’eau et je grille une Marlboro. Aaaaaah ! Là, on peut dire que ça va mieux !

Je le regarde finir d’arroser puis inspecter son travail. On grille une clope ensemble puis il se lève pour arrêter la motopompe.

« On va à la maison ». Je le suis jusqu’à un groupe de cahutes en paille sur le flanc de la dune, derrière la maison aperçue en arrivant. On y entre par une ouverture d’une cinquantaine de centimètres de large. La hutte en comporte deux. Des tapis et deux matelas, une cantine au fond en constituent le mobilier. À l’extérieur, l’inévitable paillasse en paille de palmier, à dix centimètres au-dessus du sol, où il fait bon prendre le thé en causant une fois la journée finie.

Sa femme, assise dans le coin, prépare aussitôt le thé. Salutations. Sourires. Présentation des enfants.

Je prends place à côté de Mohammed (un de plus pour ma collec’ – il n’y en a donc pas un qui s’appelle, je ne sais pas, moi, Gérard ?). Il farfouille dans la cantine, pose une pièce de tissu sur le sol, ouvre un sachet de ces petits biscuits ronds qu’on trouve ici. Comme cela ne suffit pas, il y déverse une ou deux grosses poignées de cacahuètes. Bienvenues, les cacahuètes, d’ailleurs.

Il tripatouille les boutons de la radio. Ça n’a pas l’air de marcher. Je lui tends un paquet de piles. Non, ce sont les grosses qu’il lui faut. Pas celles-ci. Ah ! finalement, ça marche !

Une voisine curieuse – pléonasme en ces lieux ? – est venue nous rejoindre avec ses deux petits enfants. Un ou deux verres de thé plus tard, une autre s’immisce dans le groupe.

Il me vient une idée : je vais leur montrer des images de la cassette vidéo. Mohammed est le premier à se voir. Je rembobine plusieurs fois de suite pour montrer les images aux femmes. Les rires fusent. Comme c’est sur cette bande qu’il y a quelques images de notre maison et du jardin, je les leur montre. S’ensuit une discussion animée en hassanya à laquelle je ne comprends évidemment rien. Rires. Je profite de l’occasion pour les filmer et je leur montre ensuite les images. Succès assuré.

Le troisième thé est bu. Il est temps pour moi de repartir, d’autant qu’il est déjà cinq heures. C’est le moment des cadeaux. N’ayant pas grand-chose sur moi, je donne un briquet à Mohammed, des pochettes d’allumettes aux femmes. Comme ce sont des pochettes d’allumettes publicitaires et qu’elles ne connaissent que les allumettes en boîte, elles s’en font expliquer l’utilisation par Mohammed.

Est-ce que je pourrai lui faire parvenir la photo ? Ah ! Bonne question. Je sors l’appareil. Ils se sont tous assis au fond de la hutte, les gosses au premier plan, tout sourires. Flash !

Vient ensuite le moment des adieux. Mohammed tient absolument à m’offrir une sorte de petit couteau en cuivre ouvragé fabriqué à Atar. Je me sens un peu mesquin avec mon briquet. Je lui propose le petit couteau suisse que m’a passé Sylvie avant de partir. Mohammed s’indigne. « Non, non, on ne se sépare pas d’un couteau comme ça ! ». OK, je n’insiste pas plus que nécessaire pour que l’honneur de chacun soit sauf.

Au dernier moment, on me glisse deux chapelets de dattes dans mon sac. Incontournable.

Toute la famille me raccompagne jusqu’à la palmeraie. Je n’ai pas fait cent mètres que je suis rejoint par Mohammed en compagnie d’un homme âgé portant un haouli noir. C’est son père. Il pousse un âne chargé de deux sacs de dattes. Mon sac va les rejoindre sur le dos de l’âne. Le soleil déclinant joue avec la lumière sur les dunes.

Je marche d’un pas d’autant plus léger que le sable est assez ferme. Nous essayons de lier conversation, mais il ne parle que le hassanya. C’est donc dans un silence ponctué de « tch-ch », « rrrrh » et autres « tsk-tsk » destinés à guider l’âne que nous poursuivons notre chemin jusqu’à Chinguetti.

Petite halte à l’épicerie pour prendre du lait et des clopes. On commence à me connaître… et à savoir que je sais aussi compter. C’est moi qui dis à la boutiquière combien elle doit me rendre de monnaie. Un gosse d’une dizaine d’années parlant très bien français confirme. Le compte est bon. De toute évidence, il s’y entend, le gamin. Pas de souci à se faire pour son avenir. En plus, c’est un marrant. Il me fait tout un cinéma pour me taper vingt ouguiyas. Il en rajoute même un max quand il me remercie. Accolades. Rigolade.

Énième traversée de l’oued de la journée. Vivement la douche !

Je rigole tout seul en repensant à un détail : chez Mohammed, celui de la palmeraie, un voisin est venu un instant et m’a demandé si c’était vrai que j’étais dans l’accident ! Décidément, tout l’Adrar est au courant.

D’ailleurs, j’ai appris ce matin, ou hier, qu’on ne savait pas qui était le mort. Transporté à Atar, personne ne l’y connaissait. Un avis de recherche a été lancé.

Enfin la douche ! En sortant, je compte aller m’étendre un peu sous la khaïma. Au fait, demain c’est vendredi ! « Mon » épicerie risque d’être fermée. Grrr. Tant pis, en route pour une énième traversée de l’oued afin de faire quelques courses…

Le soleil vient de se coucher. Çà et là devant les portes, dans les cours, et même en plein milieu de l’oued, des petits groupes se sont formés et prennent le thé en causant. Il fait presque frais. Le sable est rose. L’air aussi. La lune décroissante contemple tout cela placidement.

À la boutique, une femme qui parle français me dit que c'est ouvert demain matin. Qu’importe, j’ai traversé l’oued, autant que ça vaille la peine. Je refais le plein de café et de lait.

Sur le chemin du retour, je vois des groupes de trois ou quatre hommes se prosterner. C’est la prière du soir, « al maghrib », juste après le coucher du soleil.

À l’entrée de l’auberge, je tombe sur un flic. Il me cherchait justement pour le procès-verbal de l’accident. Rendez-vous est pris à la gendarmerie samedi à huit heures.

Me revoilà de nouveau sous la khaïma pour écrire. Ma el Aïnine me rend visite en compagnie de la jeune femme qui prépare le thé ici. Je ne sais pas trop si elle est de la famille, sa maîtresse ou simplement une employée, les rapports entre les gens me semblant ici assez bon enfant par ailleurs. Elle a récupéré un chaton de quinze jours – trois semaines. Elle adore les chats, me dit-elle. Je lui dis alors que nous en avons cinq – en ce moment. Elle est aux anges. Et encore, elle ne sait pas qu’habituellement, on en a plutôt sept en moyenne…

Je passe le reste de la soirée à attendre Mahmoud en regardant son album de photos et en relisant l’opuscule sur la Mauritanie. Un peu olé-olé, l’album photo. Tout est mélangé. Les photos ont été placées à l’endroit, à l’envers… on passe plus de temps à tourner et retourner l’album qu’à les regarder vraiment. Je jette l’éponge assez vite.

Extinction des feux. Je m’allonge donc sur la terrasse. Je fume en regardant les étoiles. Le son des youyous et des tam-tams me parvient, porté par le vent. C’est la méga-teuf sur l’autre rive de l’oued. Naissance ou mariage ?

Vers onze heures, tout se tait. Le silence n’est troublé de temps à autre que par un hibou, le bêlement d’un cabri ou le moteur d’un 4x4 arrivant d’Atar.

Je suis réveillé par l’humidité. De la condensation s’est formée sur ma couverture de survie. La nuit prochaine je dormirai sous la khaïma sans couverture.

 

Vendredi 20 septembre

Réveil au petit jour. Douche. Café. Que faire ensuite ?

Coup d’œil à la porte donnant sur l’oued. Les dromadaires sont au puits.

Balade dans les ruelles en pisé de Chinguetti et dans les dunes puis retour à l’auberge. Mahmoud est plongé dans les comptes. Il me dit qu’il va passer dès qu’il aura fini. J’en profite pour ressortir prendre une photo. En revenant dix minutes plus tard, je constate qu’il n’est plus là. Fait chier. Je ne vais jamais arriver à les voir, ces bibliothèques !

Il arrive finalement. La bibliothèque se trouve juste à côté de la vieille mosquée. Tous ces bâtiments ont été construits il y a plusieurs siècles. La mosquée est remarquable avec sa tour carrée en pierre. Mahmoud me dit qu’elle a au moins sept-cents ans. Extrêmement bien conservée, elle n’a, paraît-il, jamais été restaurée.

Le bâtiment de la bibliothèque, quant à lui, a également une longue histoire. Tour à tour grenier, étape caravanière, bibliothèque et musée, il a fait l’objet de plus d’une transformation. Au fil des siècles, le sable s’est accumulé, condamnant portes et fenêtres, obligeant à pratiquer de nouvelles ouvertures. Je m’extasie un instant sur les serrures en bois et les clefs en forme de brosses à dents géantes.

Mahmoud me montre quelques manuscrits anciens. En fait, une bonne partie a déjà été répertoriée et réimprimée. Toutefois, il reste bon nombre d’inédits.

Ensuite, on visite le musée, installé dans un local où avaient lieu les transactions commerciales. Une curiosité : la cassette encastrée dans un pilier avec son cadenas du XVIIe siècle.

Aux murs sont accrochés divers ustensiles, outres, cordes en peau de chameau utilisées du temps des caravanes. Quelques pierres taillées.
Nous escaladons ensuite – c’est bien d’escalade qu’il s’agit – un « escalier » fait de pierres plates ressortant du mur. Pour se tenir, des chevilles sont placées à un 1,5 mètre au-dessus. De la terrasse, nous découvrons la partie la plus ancienne de Chinguetti, vieille de plus d’un millier d’années.

Je reviendrai en fin d’après-midi pour photographier le quartier.

De retour à l’auberge, nous causons un long moment avec Mahmoud. Du projet, d’informatique et… des femmes. Il n’est pas marié, mais il a une copine. D’ailleurs, si j’accepte, nous irons prendre le thé chez elle tout à l’heure.

Au passage, j’apprends que Mahmoud est né le 27 novembre 1968, la veille du jour de l’indépendance de la Mauritanie.

Après la douche et quelques instants de repos, nous nous rendons à la « garçonnière » de Mahmoud. Il s’agit en fait d’une maison située un peu plus haut, là où il a installé l’électricité. Dans la pièce, l’inévitable nécessaire pour le thé, un coffre où il conserve les livres qu’il a fait imprimer en France. Dessus trône un ghetto blaster…

Il ressort chercher de la menthe. À son retour, il va faire une grande toilette. Il a revêtu le « boubou du soir », le beau boubou bleu brodé que l’on met pour aller prendre le thé avec les amis. Crème hydratante sur le visage, quelques gouttes d’eau de toilette sur le col et sous les aisselles, le voilà tout beau pour sa gazelle !

Chemin faisant, il me demande si je n’ai rien contre les Noirs. Euh, non, pourquoi ? Il m’explique que chez sa copine, ce sont des Noirs. Dans la famille de son oncle, on n’est pas raciste. Je m’en étais douté quand il avait parlé du chauffeur de la Land Rover de l’accident.

La copine est jolie, en effet. Je fais également la connaissance de sa sœur, de la marmaille et du grand frère, qui se marie justement ce soir. Il s’appelle Mamouri. Ça change des Mahmoud et autres Mohammed.

Il travaille dans un garage en face de la gendarmerie, à Nouadhibou, et revient ici deux semaines par an. Il a travaillé à la SNIM, la Société Minière de Mauritanie, où il a sans doute pratiqué son métier de mécanicien. Actuellement, il exerce la fonction de graisseur, ce qui ne semble pas l’enthousiasmer.

Mahmoud me montre son reflex 24x36 Praktika de fabrication soviétique. Je lui en explique succinctement le fonctionnement. J’en profite pour faire une petite vidéo et quelques photos.

Le troisième thé est servi. Mamouri m’invite à assister au « tam-tam » de son mariage. Je dois donc me dépêcher d’aller dans les dunes et à la mosquée pour prendre les photos.

Je retourne rapidement à ce que j’avais pris pour un puits asséché, en réalité une carrière d’où on extrait la terre utilisée pour fabriquer le banco.

À cette heure, c’est superbe. Dommage que je sois à la bourre. En rentrant dans Chinguetti, il est trop tard pour aller à la mosquée. Un attroupement à côté de la palmeraie de Ma el Aïnine me signale que la procession du mariage commence. Je rejoins le cortège pendant la traversée de l’oued. Tout le monde s’est mis sur son trente-et-un. Coucher de soleil sur les palmiers et les dunes. Tout y est.

La mariée, entièrement dissimulée sous un voile noir, est portée à bout de bras jusqu’au lieu où se déroule la fête, c’est-à-dire la case où vit sa famille. Dans le cas présent, il faudra donc franchir l’oued puis les dunes de la rive nord, soit un bon kilomètre.

Les festivités du mariage durent en fait une semaine entière. Tam-tam et youyous tous les soirs, donc. Comme il n’y a guère de distractions, tout le monde vient librement. Effectivement, hormis les vieux, tout Chinguetti est là. Il faut dire qu’à cette époque de l’année, beaucoup d’habitants de Chinguetti sont encore dans des oasis éloignées, où la guetna (la cueillette des dattes) touche à sa fin.

Près de la hutte nuptiale a été installé le « plancher du bal ». En fait, il s’agit d’un enclos d’une centaine de mètres carrés formé de filets tendus entre des pieux. Des haut-parleurs se font face, accrochés au sommet des poteaux. Comme il n’y a pas d’électricité ici, le tout fonctionne sur une batterie de voiture.

J’ai perdu Mahmoud de vue et en le cherchant je tombe justement sur Mamouri. Avec sa derâa blanche et son haouli noir, il a des airs de conquérant des sables. Il ne lui manque plus qu’un sabre à la ceinture.

M’ayant promu photographe officiel, il m’invite à prendre place à côté de lui sur des matelas adossés à la hutte. Insigne honneur. La mariée est assise à sa gauche. Elle gardera son voile noir toute la soirée.

Entre nous et le filet sont assis des femmes et une multitude d’enfants. D’ailleurs, des femmes se sont assises tout autour de l’enclos réservé à la danse. Les youyous se font entendre par vagues pendant qu’elles frappent dans leurs mains.

Des griots assurent l’animation. Il s’agit, me dit-on, de musique traditionnelle mauritanienne. Dans l’enclos, on dansera toute la soirée, hommes et femmes. Des danses à mi-chemin entre Orient et Afrique Noire, auxquelles l’ampleur des boubous et des gestes confère une certaine majesté.

Un jeune type armé d’un bâton passe son temps à houspiller les gens. Commence à m’agacer, celui-là. J’apprendrai plus tard qu’il est en fait chargé du service d’ordre. D’ailleurs, il semble respecté, le bâton n’ayant d’autre valeur que symbolique.

Je profite justement de sa présence pour prendre des photos des mariés et de leur famille. J’ai quand même bien du mal à faire le point dans l’obscurité.

Dans l’impossibilité d’approcher du filet, je confie l’appareil à Mahmoud. La pile du caméscope, devenue faiblarde quant à elle, me permet tout juste de faire des enregistrements sonores.

Des tas de gens viennent me parler. Je fais connaissance avec des douzaines de Mohammed et autres Ahmed. Un seul se distingue : il s’appelle Abdul. Ah ben voilà, quand ils veulent…

Mahmoud me rejoint. Il a réussi, pense-t-il, quelques photos. On regarde danser les filles. Inévitablement, on en vient à parler de l’amour et des femmes. Il évoque sa relation avec sa copine. Ils s’aiment, mais ne vont pas se marier. Apparemment, elle compte se marier avec un autre. Quant à lui, il doit en principe épouser une cousine. « Ici, en Mauritanie, c’est compliqué », conclut-il en riant.

Et la sexualité dans tout ça ? Là aussi, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Eh bien, on se fait des papouilles, mais « pas ce qu’on fait quand on fait un bébé ».

Je ne suis à vrai dire qu’à moitié surpris, la Mauritanie étant un pays où la femme jouit d’une grande liberté. C’est bien agréable. Au moins, ici on peut parler avec une femme, même mariée ou fiancée, sans craindre de se retrouve avec une lame entre les omoplates. L’héritage négro-africain ?

Mahmoud poursuit ses explications. Si un autre veut épouser sa copine, il demandera la permission des parents, bien entendu, mais également sa permission à lui !

Revenant sur la sexualité en cas de besoin impérieux, il me confie qu’il peut toujours s’adresser ailleurs…

Les gens commencent à partir. Littéralement déshydraté, je décide de faire un saut à la Maison du Bien-être pour boire et poser le caméscope. Les deux kilomètres aller et retour me paraissent bien longs. Qu’est-ce que j’en ai marre de marcher dans le sable !

À mon retour, il y a encore du monde, mais la fête tire à sa fin. La mère de la mariée est en train de préparer le repas nuptial. Une fois tout le monde parti, les jeunes époux vont sans doute pouvoir se retrouver dans une relative tranquillité. Relative car, paraît-il, des oreilles aussi familiales qu’indiscrètes s’assureront que la jeune femme est bien vierge…

 

Samedi 21 septembre

Réveil à sept heures. Il a fait plus frais et j’ai fini la nuit dans la chambre. À huit heures, première traversée de l’oued pour aller à la gendarmerie. Je poireaute un bon quart d’heure. Arrive le brigadier. Il manque apparemment un document quelconque – ou tout bêtement un stylo – et je dois encore attendre.

Finalement je fais ma déposition, qu’il consigne à la main dans un cahier prévu à cet effet dans un français curieux, à la fois approximatif et d’une précision tout administrative. Ensuite, on cause cinq minutes et, avant de nous séparer, il me dit que si je n’ai pas trouvé de taxi-brousse d’ici midi, je peux déjeuner chez lui.

Eh ben, si toutes les gendarmeries étaient aussi hospitalières !

En sortant, il m’indique tout de même où trouver un véhicule. J’ai de la chance, une Land Rover part justement dans trois quarts d’heure. Juste le temps de faire mes bagages.

À l’Auberge du Bien-être, Mahmoud n’est pas là. Je vais saluer Ma el Aïnine et lui règle la note. Plutôt attachant, ce bonhomme.

10 heures et quelques. Nous nous entassons dans la Land. Je suis assis devant avec un autre mec, sympa. À l’arrière, trois ou quatre femmes, de la marmaille, un homme d’un certain âge et, bien entendu, des ballots. Sur le toit, les bagages et un ou deux boys. Quelques détours et contours pour éviter les rues trop ensablées, arrêt à la gendarmerie, nouvel arrêt plus loin où Mahmoud est accouru pour m’apporter une ou deux bricoles que j’avais oubliées. Enfin nous prenons la piste.

Cinquante kilomètres sur le reg du plateau. Épineux. Touffes d’herbe. De gros lézards, deux beiges et un noir, traversent la piste. Je suis surpris par la vitesse impressionnante à laquelle ils se déplacent.

Arrêt de quelques minutes en haut de la passe. C’est donc là que j’ai somnolé l’autre soir en attendant la Toyota. Il doit être onze heures et il fait très chaud. Heureusement, nous repartons au bout de seulement quelques minutes.

C’est la descente vers Atar. La piste est impressionnante, le paysage grandiose. Nous repassons là où s’est produit l’accident. Mes compagnons de voyage ayant appris que « j’y étais », tout le monde veut savoir exactement à quel endroit c’était, dans quelles circonstances. Je répète une énième fois mon histoire.

Nous arrivons à Atar un peu après midi. Du côté de l’aéroport, nous traversons des quartiers où les constructions, récentes, sont toutes en banco. Ça ne manque d’ailleurs pas de charme. Enfin le taxi me dépose à l’hôtel. En partant, le chauffeur me donne un sachet de dattes.

Dix mètres me séparent du portail. Les mioches du quartier accourent. « Donne-moi cadeau, donne-moi cadeau ! »

C’est Sidibou, le vieux cuistot noir, qui m’accueille. Il me demande si ça va, si je n’ai pas été blessé…

Quelques instants plus tard, je suis allongé sous le ventilateur. J’avais oublié le vrai sens du mot « fraîcheur ». Je passe ainsi l’après-midi à somnoler et à écrire. J’en profite aussi pour recharger les batteries du caméscope et compter les pellicules qui me restent. Pas la joie, les batteries. Je dois en avoir une dizaine, mais pas une ne tient plus de dix minutes. Demain, j’irai à Azougui prendre quelques photos.

Vers six heures, je passe un moment à causer avec des gens de la Croix Rouge Internationale en sirotant un Coca sur le perron. Le Coca ! Je n’ai jamais été très fan, mais ici je vais finir par le prendre vraiment en grippe. En même temps, quand on a bu deux ou trois litres d’eau depuis le lever, on a envie de changer. Alors on alterne.

Dîner vers neuf heures. Je demande qu’on me réveille à cinq heures et demie. Je tiens à partir quand il fait encore frais. Azougui est à cinq ou six kilomètres. Ahmed est passé. Il a mon billet d’avion et l’apportera demain. On cause cinq minutes. Je ne coupe pas au récit de l’accident…

 

Dimanche 22 septembre

Une pensée saugrenue me traverse l’esprit : il y a un peu plus d’une trentaine d’années, c’était ma première leçon d’anglais. À onze ans, c’était le plus beau jour de ma vie !

Réveil à sept heures. Évidemment. Le gardien devait roupiller. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il m’ait même vu sortir de l’hôtel.

Deux-cents mètres sur la digue, l’oued puis, passé les quelques maisons du hameau de l’autre rive, le vieux cimetière et c’est la grande ligne droite caillouteuse qui conduit à Azouqui.

Sept kilomètres jusqu’au village proprement dit Azougui, six jusqu’à la passe. Il fait jour, mais ce n’est qu’à mi-parcours que le soleil se lève. Il fait bon. Heureusement, car la piste, toute droite, n’en finit pas. Au moins, on est sur le reg et le sol est ferme. Après ces quelques jours dans les sables mous de Chinguetti, c’est presque reposant. À un kilomètre de la passe, je me fais prendre en stop. Toujours ça de gagné.

Je descends ensuite au premier virage, où je passe par les éboulis rocheux au pied de la falaise. Ainsi, je profiterai à la fois de l’ombre et de la brise, ce qui m’évitera de taper dans les réserves d’eau.

Azougui, c’est une large vallée parallèle à celle d’Atar, mais – toutes proportions gardées, on est tout de même dans l’Adrar – plus verdoyante. C’est en fait ce qu’on appelle une sebkha. Les oueds, quand ils coulent, disparaissent dans les sables. L’avantage, c’est que la présence d’eau permet de faire pousser des dattiers.

Le village proprement dit, vu d’ici, semble assez disséminé. La plupart des habitations sont des huttes en paille ou des maisonnettes en banco. Peu d’enclos. Le reste de la vallée est désertique, mais les touffes de graminées sont plus nombreuses et plus fournies qu’ailleurs.

Je suis de retour à l’hôtel sur le coup de midi et demi. La chaleur est de nouveau écrasante, et j’ai fini mes deux litres et demi d’eau il y a déjà bien longtemps. Ce qui frappe ici, quand on vient pour la première fois, c’est que même en buvant énormément on ne transpire absolument pas. À vrai dire, c’est une illusion. L’air est tellement chaud et sec que la transpiration s’évapore immédiatement.

Sieste et café. Quatre heures de l’après-midi. Je retourne là-bas. Pas de chance, pas une voiture en vue et je fais tout le chemin à pied. J’ai été bien inspiré de prendre un foulard.

Cette fois, je me contente de rester au sommet de la falaise. La vue y est superbe. Il fait bon, une petite brise venant tempérer l’ardeur du soleil. Je reste là jusqu’au coucher du soleil. Au moins, je ne serai pas venu pour rien. Par contre, je suis déçu par la lumière, moins belle que ce matin au lever du jour.

À peine revenu sur la route, je suis pris en stop par une 404 qui me dépose sur la digue.  C’est heureux, car mes pieds me font souffrir. J’ai dû marcher une quinzaine de kilomètres sur un terrain caillouteux depuis ce matin.

Sidibou me dit que je peux dîner maintenant si je veux. Il est sur le point de servir les trois délégués de la Croix Rouge. Un couple de « nouveaux » est déjà attablé.

Ahmed m’apporte mon billet d’avion et prend le thé avec moi. Nous sommes rejoints peu après par le couple de « nouveaux ». André et Maïté. Des Bordelais qui connaissent bien l’Afrique pour y avoir pas mal bourlingué. Finalement, on reste un moment à bavarder en buvant un énième Coca.

Nous nous donnons rendez-vous mardi à Nouakchott.

 

Lundi 23 septembre

J’ai eu beaucoup de mal à m’endormir et ce matin à sept heures, je serais volontiers resté au lit.

André et Maïté ne sont pas encore partis, et ils me déposent à l’aéroport. Ça tombe bien, mes ampoules aux pieds me font atrocement mal. Deux kilomètres avec le sac seraient au-dessus de mes forces.

Je m’emmerde ferme jusqu’à neuf heures et demie. Une bande de gamins joue au foot avec une bouteille en plastique. Un troupeau de dromadaires traverse nonchalamment la piste. Le calme plat.

Boum ! Un sac tombe à mes pieds. Un grand bonhomme s’esclaffe : « ah ! à soixante ans, ça fait du bien de prendre un peu d’exercice ! » En effet, il semble avoir la forme.

Entre-temps, tout le monde est arrivé. Enregistrement. Thé à la menthe et allez, tous à bord.

Mon bonhomme me parle de la Mauritanie du temps des Français. Nostalgique. Il m’apprend aussi que son fils est en train de mettre la famille en difficulté. Il a affrété un avion avec des Ukrainiens qui se sont tirés avec le fric. 20 millions d’ouguiyas partis en fumée. On comprend qu’il se fasse du souci. Avant cela, il m’a longuement parlé de la période de l’occupation française. Tout ce qu’il me raconte confirme bien ce que me disait Michel quelques jours avant : les Maures avaient respecté les Français pour leur courage et leur ténacité. Il fait écho à certains propos de Ma el Aïnine.

Je profite de ce qu’il se plonge dans la lecture du journal pour admirer le paysage. Après l’Adrar, une immense étendue de dunes, d’oueds, de reg… et je m’endors.

Un changement de régime des moteurs me réveille. Nous amorçons la descente vers Nouakchott. La température au sol annoncée est de 38°. Il fait frais, quoi. En revanche, l’air est moite.

À l’hôtel El Amane, j’ai pris une chambre simple, mais je dois en changer aussitôt à cause du bruit de tracteur de la clim’.

Pas le temps de prendre une douche. J’ai appelé Michel et il est en partance pour Chinguetti. Un 4x4 vient me chercher pour conduire chez lui. Joli pied-à-terre. Finalement, on trouve le temps de causer un peu. Mes premières impressions sur certaines choses ou personnes sont confirmées.

J’apprends au passage qu’il est possible d’acheminer du matériel ou des fournitures gratuitement en passant par l’agence. Bon à savoir. Il revient de Chinguetti jeudi et nous dînerons ensemble.

Après un court passage à l’hôtel, je repars en direction de l’ambassade de France pour essayer de repérer le restau karaoké dont on m’a parlé. Il paraît qu’on y mange correctement, ce qui est très appréciable ici, la gastronomie mauritanienne étant inexistante. Je ne trouve pas, mais André et Maïté sauront me l’indiquer.

Devant l’hôtel, un Sénégalais me prend la tête à essayer de me refourguer sa pacotille. Son insistance est un peu agressive et je ne suis pas mécontent de m’en débarrasser.

Après le dîner, je m’écroule. Je pense avoir dormi une bonne heure. Un coup de fil à la réception m’apprend qu’il est trois heures du matin ! Plus moyen de fermer l’œil. Je mange quelques noix de cajou en buvant un bon litre d’eau en mettant la dernière main mon carnet de route. Le sommeil tant espéré finit tout de même par me cueillir.

 

Mardi 24 septembre

Réveil vers neuf heures avec la sensation d’être enfin bien reposé. En descendant prendre le café, je cause deux minutes avec le jeune qui fait le ménage dans les chambres. Il est intrigué par mes cigarettes de marque Hollywood. Je lui explique que, jusqu’ici, je n’en avais trouvé qu’au Brésil, mais que celles-là, je les ai achetées chez un grossiste de la rue voisine.

"Au Brésil ! Tu connais le Brésil ?

- Oui, j'y ai vécu deux ans.

- Moi aussi, j'y suis allé. J'ai passé trois jours à Rio en 83-84, pour le Carnaval. Comme je parle un peu portugais, mon patron m'avait invité à l'accompagner."

Et c’est vrai qu’il parle brésilien. Et plutôt bien !

Je tombe sur Ahmed en sortant de l’hôtel pour poster quelques cartes postales. Ahmed le Maure, pas l’Ivoirien. Content de me revoir. Oh, je ne me fais pas d’illusions, son amitié est bien un peu intéressée. D’ailleurs, il me demande aussitôt si je veux changer de l’argent. Pas de chance pour lui, il me reste suffisamment d’ouguiyas pour tenir jusqu’à jeudi. Je ne changerai donc que le nécessaire pour payer la note d’hôtel.

Nous allons à la poste où une employée mal embouchée sort la calculette pour savoir combien coûtent 16 timbres à 50 UM. Regard mauvais quand je luis dis du tac au tac que ça fait 800 UM.

Ensuite, Ahmed m’emmène au marché du 5e arrondissement, tout près de l’hôtel, dans un magasin de cassettes. C’est justement celui que j’avais repéré l’autre jour. Bien achalandé. Évidemment, ce ne sont que des copies. Ici, la notion de droits d’auteur est un concept encore flou…

300 UM les cassettes de 90 mn, 200 UM les 60 mn. À ce prix-là, j’en prends six ou sept. Ensuite, direction le bazar où je me ruine en achetant un sarouel et une derâa bleue pour… 60 francs. En fait, c’est le vrai prix. Et la qualité est au rendez-vous.

Direction l’hôtel où je me taille un franc succès auprès du personnel quand je mets ma tenue maure. Ça ne me va pas du tout, mais passé leur première réaction d’amusement, je les sens un peu flattés.

Nous prenons le thé, Ahmed, le vieux gardien et moi. Je les filme et leur montre les images. Tout le monde veut voir. J’ai demandé à la proprio s’il était possible d’utiliser une des télés de l’hôtel. Très sympa, elle me passe une clef. Comme ça, on se fera une projection tout à l’heure.

Juste au moment où j’écris ces lignes, coup de fil de la réception : le gardien vient d’arriver. On monte donc en délégation à la chambre pour visionner la cassette. Nouveau succès. Tout le personnel défile.

Une fois tout le monde parti, je visionne les prises de vues effectuées jusqu’ici. Les résultats sont, hélas, conformes à mes prévisions. Beaucoup de séquences sont inutilisables. Trop de panoramiques, ratés pour la plupart, pas assez de plans fixes, pas assez de plans tout court, d’ailleurs. Bref, il n’y a pas grand-chose d’exploitable. Enfin, il faut bien commencer un jour. J’ai juste fait une journée d’initiation quelque temps avant de venir, et le caméscope m’a été prêté. Et puis si je dispose d’une dizaine de batteries, elles sont toutes trop vieilles et n’ont que très peu d’autonomie. J’espère au moins que les photos seront réussies.

J’aurai au moins appris une chose : ici c’est le matin que la lumière est la plus belle. Le soir, il y a beaucoup trop de poussière en suspension dans l’air.

Sept heures. Atlas Voyages est sur le point de fermer. On me dit qu’André et Maité ne vont arriver que demain. Ah ! Pas prévu. Un peu désœuvré, je ne sais pas trop quoi faire. Si j’avais su, je serais allé au Centre culturel ou… non, c’est idiot. À cette heure-ci, c’est certainement fermé. Un saut au Racing Club ? Peut-être y a-t-il des gens intéressants à rencontrer, du moins si on veut bien me laisser entrer. Allez, je tente le coup. Il me semble que c’est à droite, à l’angle de l’hôtel Merhaba. Après, on verra.

Je marche vite. Mon pied gauche ne me fait presque plus mal. À droite au Merhaba, je reconnais la rue. Voyons, il me semble que c’était relativement loin. Finalement, j’abandonne au bout de quelques centaines de mètres. Qu’est-ce que je vais faire là-bas ? Ils ne vont sûrement pas me laisser entrer, je ne suis pas membre. J’aurais bien demandé à un passant, mais il n’y a pas grand-monde et je risque de tomber sur un vendeur de pacotille.

Sur l’avenue Nasser, je vois de loin en loin des types qui semblent faire du stop avec une pancarte à la main. En fait, ce sont des vendeurs de journaux qui tentent leur chance : il y a pas mal de circulation à cette heure.

Je décide finalement de dîner à l’hôtel et de me coucher tôt. C’est cher, mais comme je n’ai quasiment rien mangé de la journée, ça ne me fera pas de mal. Lapin à l’estragon et pâtes. Ah, ben très bien !

« Mais c’est qu’il ne nous a pas attendus ! ». Tiens, mais je ne les attendais plus non plus ! Maïté et André, visiblement en pleine forme après 450 km dans le désert. Ils sont accompagnés de Doudou, un Malien de 23 ans qui travaille à l’agence où ils ont loué leur 4x4. Nous dînons donc ensemble. Eux aussi ont le sentiment qu’Ahmed, de l’hôtel des Almoravides à Atar, est un arnaqueur.

À Chinguetti, ils n’ont pas eu de chance. Mahmoud était absent et ils n’ont pas pu voir de bibliothèque. Hormis cela, eux aussi ont trouvé l’endroit superbe.

Ils me surprennent davantage quand ils disent qu’ici c’est propre. Ah bon ? Vous trouvez ? C’est vrai qu’en faisant quelques comparaisons, il y a pire.

Et Doudou ? Lui aussi a eu sa part de galères. Comme beaucoup de jeunes de son pays, il a très tôt cherché à échapper à sa condition en allant vers le Nord. Dans son cas, c’était l’Algérie. Bien entendu, il s’est fait refouler à la frontière. Il a passé huit jours sans manger dans un « camp de regroupement » ou quelque chose comme ça. Un enclos grillagé, en plein cagnard. De là, les gens sont en principe renvoyés chez eux. Par les moyens du bord. Dans son cas, c’était un Français passant dans le coin qui se rendait au Niger. Il a emmené le plus jeune. Doudou avait alors 13 ans.

Aujourd’hui, il travaille à l’agence de voyages Atlas, juste en face de mon hôtel. Il est payé 6800 UM par mois. Quand je lui demande s’il est nourri, il s’esclaffe : « nourri ! »… Je n’ose pas lui demander s’il est logé. Notre dîner, quatre assiettes de lapin avec des pâtes, un Coca, une bouteille d’eau et deux desserts, aura coûté 7700 UM. Dans la conversation, on apprend qu’il arrive même à faire des économies !

Après dîner, on va prendre… un scotch chez André et Maïté. En fait, ils louent à l’année une maison à la périphérie de la ville. Leurs fils viennent souvent, André aussi. il est à la retraite et en profite pour descendre un 4x4 ou une Peugeot de temps en temps. Maïté, qui bosse encore, ne peut venir qu’une fois par an. Mais c’est une battante qui ne craint pas de pousser une vieille 504 à 120 à l’heure sur de la tôle ondulée… et c’est André qui met les holàs.

Ils me narrent leurs multiples péripéties au Maroc, en Algérie, au Mali. Un voyage a été particulièrement gratiné. André est parti de Bordeaux avec un type qui avait déjà fait 30 voyages en Afrique. Ils ont eu tous les problèmes possibles et imaginables. Panne sur panne, crevaisons innombrables, multiples allers et retours entre Tombouctou et Niamey à cause des événements politiques pour finir fauchés à Niamey. André est alors rentré en France. Il a aussitôt envoyé du fric à son compagnon de voyage. Plus de nouvelles. Entre-temps, il apparaît qu’André a un œdème pulmonaire. Hosto, réa et tout le tremblement.

Lors d’un autre voyage, il tombe sur un Français qui connaît le fameux mec de l’aventure précédente. Il est en taule dans le coin. André lui envoie des colis. Aux dernières nouvelles, le type est mort.

Ils me content d’autres aventures dont ils ont été témoins, comme celle de la Bretonne restée plantée deux jours dans le sable. En queue de colonne, on n’a remarqué son absence que beaucoup plus tard. André et Maïté passaient par-là. Ils ont désensablé son véhicule et tout s’est arrangé. Heureusement, car l’ambassade de France ne voulait pas faire quoi que ce soit. (L’histoire est beaucoup plus complexe, mais il est tard et je n’ai plus l’énergie nécessaire pour l’écrire.)

Onze heures. Le taxi attend devant la porte. Il lui a été promis qu’il serait libéré à cette heure-là, et si je veux qu’il me dépose à l’hôtel, il faut y aller.

Doudou et moi réveillons le chauffeur. Qui commence à gueuler. Il n’a pas été assez payé. Il a touché 2000 UM pour 4 heures et ne veut pas comprendre que de 7 heures à 11 heures, ça fait justement 4 heures. Les palabres durent dix bonnes minutes. De guerre lasse, Doudou lui dit de passer à l’agence le lendemain.

Sur le trajet du retour, j’explique discrètement au mec que de 7 à 8, ça fait une heure ; de 8 à 9 une deuxième heure, etc. Il ne semble pas convaincu. On passe à autre chose. Je fais comme les gens d’ici : je questionne. Et j’apprends qu’il y a trois ans qu’il est ici. Non, la voiture n’est pas à lui, mais quand il retourne à Dakar, une fois par an, il a le droit de la prendre. C’est plus rentable de travailler à Nouakchott qu’au Sénégal. J’apprends aussi qu’il a six enfants. « C’est peut-être trop, hein ? » dit-il en me regardant en coin, mi-rigolard.

À l’hôtel, il monte carrément sur le trottoir et me dépose devant l’entrée, pour ne pas dire dans l’entrée.

 

Mercredi 25 septembre

Réveil à neuf heures et des poussières. Ou de la poussière ? En buvant mon café, je fais connaissance avec un Algérien sympa. On cause de tout et de rien un moment.

Au centre culturel français, le centre d’études sur la Mauritanie est fermé. Il n’ouvre que de quinze à dix-neuf heures. Zut, crotte, flûte !

Chemin faisant, je cause avec un gamin venu me brancher dans la rue. Ali doit avoir une dizaine d’années. Un de ses frères travaille à l’hôtel. Avisant le cahier que j’ai en main, il me demande si je peux lui en donner un. Direction la papeterie. Je lui en prends deux.

Retour à l’hôtel. Fax. Du boulot à mon retour en France. D’un côté ça ne m’enchante guère, de l’autre c’est rassurant.

Ne sachant que faire, je décide d’aller prendre quelques photos de rue aux alentours du marché. Le soleil est déjà trop haut. Il va falloir jouer du pola. C’est galère, ici, la photo. Par contre, je bénis mon objectif de 300 mm. Je profite de ce qu’Ali m’a accompagné pour faire semblant de poser alors que je photographie autre chose. De temps en temps, quelqu’un me demande aussi de lui tirer le portrait. Va comprendre…

Ali a du mal à supporter la lumière. Je ne sais pas ce qu’il a, une malformation sans doute. Ses yeux sont tout petits et il semble avoir de la difficulté à les garder ouverts.

Allez, en route pour l’hôtel où je luis administre une dose de collyre. J’espère que ça le soulagera au moins un peu. Il faudrait le conduire chez un spécialiste, mais là…

Un deuxième fax est arrivé pour moi. Allons bon, les grèves. J’avais complètement oublié certains charmes de la douce France. Enfin, ¡ya veremos!

Petite pause. Je m’assoupis un moment. C’est Tierno, le factotum de l’hôtel, qui me réveille. Il a fait retailler mon boubou, qui était trop large. Nouvel essayage. Ah ben voilà ! Si seulement je l’avais eu plus tôt !

En ressortant prendre des photos, je tombe sur les deux Ahmed, le Maure et l’Ivoirien. Un saut rapide au marché, où je change de quoi payer l’hôtel. En revenant, le mec d’Atlas Voyages me fait signe : André est justement là. Je le trouve affalé dans un fauteuil, les pieds sur un autre, plongé dans une carte du Sahara.

Maïté est allée se faire faire des peintures traditionnelles sur les mains et les pieds, et ce n’est toujours pas terminé. Elle y est depuis huit heures du matin ! Apparemment, il y en a encore pour un bon moment… jusque vers vingt heures. Il n’est donc pas sûr qu’on puisse se voir ce soir.

J’accompagne donc Ahmed l’Ivoirien chez lui. Nous prenons un des petits bus jaune et vert jusqu’à une proche banlieue, dans le prolongement du ksar. L’endroit n’est pas du tout déshérité comme je l’imaginais. D’ailleurs, des maisons d’aspect cossu sont en construction juste derrière, dans les dunes. En bordure de la route, un quartier populaire, mais qui n’a rien de miséreux.

Ahmed a loué un petit local où il a installé quatre tables et deux bancs. Au fond trôle un comptoir sommaire. Sur une étagère, quelques bouteilles de ketchup et autres condiments. Vides.

Je fais connaissance avec ses potes, ivoiriens aussi. Ambiance chaleureuse et bon enfant. De quoi ils vivent ? « On se débrouille », répondent-ils en rigolant.

Ensuite, il me fait voir sa piaule, derrière l’îlot 163. À Nouakchott, le concept de l’îlot semble être la norme. Un îlot, donc, est constitué de deux ou trois habitations autour d’une courette commune.

Eh bien, il n’est pas si mal installé. Sommaire, mais confortable. Un tapis et un matelas. Les inévitables posters de foot. On est somme toute loin du bouge infâme que j’imaginais.

On fait un saut à l’entraînement de son équipe, dans la cour de la caserne de pompiers qui se trouve à deux pas. Une carcasse de Mercedes finit de pourrir dans le passage conduisant au terrain vague tenant lieu de cour de la caserne. Celle-ci semble issue d’un de ces films d’après la troisième guerre mondiale – atomique, cela va sans dire. Quant aux véhicules, ils portent encore les plaques minéralogiques du pays d’origine, l’Allemagne en l’occurrence.

Je saute dans un bus jaune et vert pour rentrer en ville. Slalom entre les voitures et les autres bus. Pour 20 Um, on ne fait pas la fine bouche.

Je décide de dîner puis de rester tranquillement à écrire, quand je vois arriver le Hollandais de la chambre voisine. Nous dînons donc ensemble en parlant de la Mauritanie. Il a terminé sa mission ici, mais comme il lui reste trois ou quatre jours à tuer avant de repartir, il a décidé de faire un saut dans l’Adrar. Il semble revenu sur ses a priori et apprécie la gentillesse et l’hospitalité des Mauritaniens.

Un peu désœuvré après son départ, je m’assieds un moment dans l’entrée. Je cause avec Diouf de choses et d’autres en fumant.

J’ai bien fait de ne pas prendre de café, je m’endors très vite.

 

Jeudi 26 septembre

Dernier matin à Nouakchott. Bien dormi. Au café, je tombe sur un certain Kader. Très théâtral, le bonhomme, mais bien sympa. Une fois réglée la note de l’hôtel, je vais faire le plein de clopes. Comme mon revendeur habituel n’aura sûrement pas une cartouche entière, je vais directement chez le grossiste.

"La cartouche de Hollywood, c’est bien 800 UM ?

- Non, 500."

Stupeur. Je masque ma déception en me rendant compte que jusque-là, je me suis fait arnaquer.

"Ah oui, c’est vrai. J’en prendrai deux cartouches. »

Chez Tiris Voyages, on me confirme que Michel est rentré. Thé à la menthe sur le pouce. À l’hôtel, Mme Decastille, la proprio très sympa, me permet de garder la chambre jusqu’à mon départ. C’est chouette, car je ne savais vraiment pas quoi faire entre midi et sept heures du soir.

À midi, déjeuner au Halima avec André, Maïté et un certain Moktar. Un tajine d’enfer ! Et vu la modicité des prix, une adresse à recommander.

En sortant, je photographie les mains de Maïté. Neuf heures à rester immobile ! Il faut souffrir pour être belle !

De retour à l’hôtel, j’accompagne Jan, le Hollandais, chez Air Afrique. Toujours pas de place. En arrivant là-bas, on tombe sur Ahmed l’Ivoirien, fier comme Bartabas avec son tee-shirt Meli-Melo. Comme je m’y attendais, c’est comme ça qu’on le surnomme maintenant.

En fin de journée, Michel passe me prendre à l’hôtel pour aller au Racing Club où, en tant que résident, il a ses entrées. Pour ma part, après deux semaines à boire des quantités astronomiques d’eau et de Coca, une bière sera bienvenue. Michel m’explique que ce club est le rendez-vous des coopérants et autres expatriés français. Souvent en poste pour des mois, voire plusieurs années, ils s’ennuient à mourir. Surtout les épouses. Dans ces conditions, la fidélité n’est pas la vertu première des couples, ce qui met un peu de piment dans la vie par ailleurs très morne de Nouakchott.

 

Épilogue

Ce journal s’arrête là, je n’ai plus eu le temps de rédiger la fin du voyage, mais le vol de retour est de toute manière sans intérêt.

Au moment où je m’apprête à quitter l’hôtel, je tombe toutefois sur un Français au comptoir de la réception. C’est un entrepreneur apparemment installé dans le coin à qui j’apprends que l’ouvrier qu’il a envoyé à Chinguetti chercher une pièce pour une pompe est mort dans un accident. Le téléphone arabe...

 

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